
Portrait. Pauline Deschamps-Kahn : étudier la peinture, du dessin au vernis
Ancienne avocate au Barreau de Paris, Pauline Deschamps-Kahn a choisi de reprendre ses études et de se lancer dans la recherche. Elle prépare un doctorat en histoire de l’art et des techniques picturales à l’École Pratique des Hautes Études et au Centre de Recherche et de Restauration des Musées de France (C2RMF).
Se former tout au long de sa carrière
Pauline Deschamps-Kahn est spécialisée en droit des successions. Confrontée à de nombreuses expertises d’œuvres d’art, elle suit un diplôme d’université d’expertise des œuvres d’art à l’Université Panthéon Assas pour enrichir sa pratique. Ce premier travail sur les œuvres, dans la partie la plus scientifique de l’histoire de l’art, la décide à rejoindre le master d’histoire de l’art et archéologie de l’EPHE - PSL. Là, sous la direction de Michel Hochmann, elle s’intéresse aux dessins sous-jacents des peintres florentins, de la Haute Renaissance au Maniérisme.
Ce mémoire lui permet d’appliquer les techniques d’imagerie scientifique étudiées pendant sa formation à Assas, notamment la réflectographie infrarouge. Cette dernière permet de visualiser les couches de carbone cachées par les pigments de peinture et donc d’étudier les dessins sous-jacents qui intéressent Pauline.
Étudier la peinture : du dessin au vernis
Constatant que peu d’études en France traitent des matériaux dans les peintures ou de l’origine des supports, elle décide de poursuivre sa recherche en doctorat et d’étudier tous les aspects constitutifs de la peinture, du dessin jusqu’au vernis. La thèse qu’elle prépare, sous la codirection de Michel Hochmann et Victor Etgens, questionne la représentation des étoffes par les peintres italiens à la Renaissance (1480-1545). Pour cela, elle s’intéresse aux sources, aux matériaux et à la matérialité de ces figurations. L’objectif est d’interroger l’ensemble du processus créatif, depuis la conception jusqu’à la mise en œuvre picturale pour traduire la richesse matérielle des tissus, réels ou imaginés.
« Lors de la rédaction de mon mémoire sur les dessins sous-jacents, j’ai vu qu’il y avait beaucoup de recherche des peintres pour traduire les ombres et les lumières dès la phase de dessin préliminaire, particulièrement sur les étoffes. C’est là que j’ai réalisé qu’il serait intéressant de voir si ce qu’ils ont déjà matérialisé dans le dessin se retrouve ensuite dans la mise en œuvre des pigments. Je me suis dit que c’était dans la représentation des textiles qu’il y avait le plus de connexions entre le dessin et la perception qu’on a de l’étoffe. »
Sa traduction picturale trouve son inspiration dans les communications entre les peintres, les apothicaires et l’ensemble des artisans textiles (brodeurs, teinturiers, tisserands, costumiers), mais aussi dans la grande diversité des textiles et des matériaux qui circulent entre la fin du XVe et le début du XVIe siècle.
Pauline cherche à explorer l’ensemble des méthodes d’analyse et d’imagerie scientifique qui permettent d’identifier pigments et colorants utilisés par le peintre, raison pour laquelle la partie scientifique de sa recherche s’effectue au Centre de Recherche et de Restauration des Musées de France (C2RMF) qui détient plusieurs instruments d’imagerie physico-chimique.
En complément, elle peut compter sur la richesse et la grande variété des sources qui existent : inventaires, traités picturaux, correspondance …
« Ce qui m’intéresse c’est de croiser ces informations et d’établir une correspondance entre sources primaires et analyse scientifique. Celle-ci permet par exemple de déterminer les éléments chimiques qui ont été utilisés. Et en les cartographiant, on détermine l’utilisation de tel ou tel pigment. On se rend compte que les peintres faisaient beaucoup de recherche d’abord sur les étoffes pour vraiment les comprendre, et qu’ensuite ils essayaient de les traduire avec des colorants et des pigments qu’on retrouve à la fois dans les étoffes et dans leur peinture. C’est assez intéressant de voir toutes ces relations entre les ateliers de tisserands, brodeurs, teinturiers, et les peintres, puisque ce sont des ateliers qui fonctionnaient vraiment ensemble. »
En plus de ces correspondances, certains pigments sont employés pour leur valeur symbolique, notamment dans la représentation des étoffes portées par le Christ ou la Vierge.
À travers sa recherche, Pauline questionne également l’accessibilité des pigments et son influence sur les choix de l’artiste ou encore l’impact économique des pénuries de certaines matières premières minérales.
La pratique au cœur de la recherche
Mais les sources textuelles sont parfois lacunaires, il y manque souvent des informations précieuses. Pauline travaille donc de manière très pratique en tentant de reconstituer des recettes et des gestes aujourd’hui perdus.
« Je voulais vraiment mettre la main à la pâte pour comprendre, me mettre à la place d’un peintre qui broie ses pigments, qui essaie tel ou tel liant. »
Et après ?
Pauline souhaite poursuivre dans la recherche universitaire en histoire de l’art en proposant un enseignement centré sur la science des matériaux et intégrant la matérialité pour l’étude des peintures. Elle aimerait que sa thèse facilite le dialogue entre scientifiques et historiens et que ces derniers entrent dans les laboratoires pour apporter leur regard sur les interprétations qui sont faites à partir des données d’analyses physico-chimiques.
« Par exemple, il est intéressant de comprendre d’où vient un colorant comme la cochenille du Nouveau Monde, utilisée à partir de 1543 à Venise, comment la Guilde des teinturiers l’a autorisée pour la coloration des étoffes, et comment les peintres l’ont ensuite utilisée dans leur peinture. Et c’est pour cela que je pense que les historiens peuvent vraiment avoir un rôle à jouer dans les laboratoires. Je voudrais donc enseigner les matériaux à des historiens et rendre accessible tout ce vocabulaire scientifique qui peut paraitre au début complexe. »
En parallèle, Pauline a à cœur de développer des séminaires de découverte de l’histoire de l’art dans des instituts spécialisés, en faveur de personnes en situation de handicap, ou auprès d’associations de protection de l’enfance.
Ses recherches futures s’intéresseront également aux débuts de l’interdisciplinarité pour l’étude des peintures, et à la diffusion des sciences et techniques auprès des historiens et des artistes notamment au XIXe siècle. En collaboration avec un autre doctorant, Christopher Bakke, elle procède actuellement à la transcription et l’analyse critique de l’ensemble du manuscrit des Leçons de géologie, physique et chimie, données par Louis Pasteur à l'École des Beaux-Arts (1863-1866) et conservé au département des manuscrits de la BnF. Cette transcription fera prochainement l’objet d’une publication.
Direction de la Communication : C. David