
Portrait d'Asel Akbanova. De la pratique de la musique à la pratique de la recherche
De sa rencontre avec l’œuvre de César Franck au Conservatoire de Tachkent (Ouzbékistan), Asel Akbanova a fait naître un projet de recherche en histoire de la musique qu’elle mène à l’EPHE - PSL.

De la pratique de la musique à la pratique de la recherche
Originaire d’Ouzbékistan, Asel Akbanova étudie le piano au lycée Ouspenski puis au Conservatoire de Tachkent. C’est là qu’elle découvre l’œuvre de César Franck (1822-1890) et le caractère particulier de sa musique et de sa composition.
« Franck propose quelque chose de différent, une nouvelle harmonie très riche. Son style se distingue vraiment de celui de ses contemporains ».
S’intéressant à son travail, elle ne dispose que d’un seul ouvrage en russe et de quelques notices en anglais à la bibliothèque du Conservatoire. Elle se lance alors dans l’apprentissage du français pour continuer à étudier la production du compositeur, les principales références et sources étant en français.
Elle prend contact avec Cécile Reynaud, directrice d’études sur la chaire « Histoire de la musique européenne au XIXe siècle : sources et collections » à l’EPHE - PSL, et intègre le master « Histoire de l’Art et Archéologie ». Après un premier mémoire sur Franck, Asel obtient un contrat doctoral au sein du laboratoire « Savoirs et pratiques du Moyen Âge à l'époque contemporaine » (SAPRAT).
César Franck, compositeur reconnu à la pédagogie méconnue
Pour sa thèse, Asel se concentre sur l’enseignement de César Franck entre 1850 et 1950. Ambroise Thomas (1811-1896), directeur du Conservatoire national de musique et de déclamation de Paris, lui confie une classe d’orgue qui, grâce à la pédagogie originale du professeur, devient rapidement une sorte de centre d’études à part entière.
« Officiellement, César Franck enseignait l’orgue et l’improvisation au Conservatoire de Paris, mais ses leçons dépassaient largement le cadre initial de cette classe. Il a obtenu ce poste à l’âge de 50 ans, alors qu’il avait déjà beaucoup d’expérience en tant que pédagogue ainsi qu’un grand nombre d’élèves particuliers auxquels il donnait des cours de piano, d’harmonium, de composition, d’orchestration et d’harmonie. D’après son élève Vincent d’Indy (1851-1931), avec l’arrivée de Franck, la classe d’orgue est devenue « le véritable centre des études de composition du Conservatoire ». Son enseignement était d’autant plus remarquable qu’il portait sur une discipline qui n’avait pas encore de classe au Conservatoire : l’orchestration. Ainsi, autour de lui, s’est réunie une constellation de jeunes musiciens français qui se sont nommés la « bande à Franck » et qui lui sont restés fidèles même après sa mort ».
Si le critique musical Romain Rolland (1866-1944) parle de lui comme du « plus grand éducateur de la musique contemporaine », Franck n’a pourtant laissé aucun traité ni aucune méthode.
Faire parler les différentes sources
En premier lieu, Asel essaie de comprendre le fonctionnement de la classe d’orgue. Elle peut compter pour cela sur les archives du Conservatoire, conservées aux Archives Nationales : « listes d’élèves, journaux et procès-verbaux d’examens, ce sont les sources les plus fiables ».
Puis, elle étudie les témoignages de ses disciples. Joël-Marie Fauquet, spécialiste du compositeur, en a déjà recensé plus de 170 dans sa monographie publiée en 1999 par Fayard.
« J’essaie de récupérer des informations sur l’enseignement de Franck à partir d’archives et de lettres de ses élèves. Mais s’il existe beaucoup de souvenirs racontés et de témoignages, on ne peut pas leur faire totalement confiance. En effet, après sa mort, ils ont développé une image angélique de leur mentor. Il est donc essentiel de prendre du recul par rapport à ces documents ».
La classe d’orgue du Conservatoire (1872-1890) ne représente en réalité qu’une infime partie de la pédagogie de César Franck : il donne des cours particuliers depuis ses 14 ans et ces élèves sont plus difficiles à identifier.
Asel termine sa deuxième année de recherche et compte trouver de nouvelles sources.
« Je suis en train d’examiner des lettres non cataloguées des élèves de Franck au département de la Musique de la BnF ».
Elle invite d’ailleurs à ne pas négliger les relations avec les autres chercheurs, quel que soit leur domaine d’études.
« Lors de la dernière journée d’études organisée par le laboratoire SAPRAT, j’ai rencontré une doctorante qui travaille sur les dessins d’Auguste Rodin. Après avoir entendu la présentation de ma recherche et que nous ayons échangé sur nos difficultés respectives, elle m’a indiqué connaître une descendante de l’un des élèves de César Franck ».
Et après ?
En plus de la publication de sa thèse, Asel aimerait créer une base de données regroupant l’ensemble des élèves de Franck, enrichissant la liste de Joël-Marie Fauquet de nouveaux noms mais aussi de détails biographiques. Elle souhaite également poursuivre ses recherches sur cette période de la musique française et le fonctionnement du Conservatoire. À cet effet, elle prépare cette année deux conférences sur les directeurs du Conservatoire : Ambroise Thomas (en mai 2024 à l’Université de Cardiff) et Théodore Dubois (en novembre 2024 au Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris).
Direction de la Communication : C. David