
Nathan Fraikin : recherches à la croisée de la psychologie et de l'ésotérisme
Cette semaine, découvrez Nathan Fraikin, doctorant à la section des Sciences religieuses de l’École Pratique des Hautes Études - PSL depuis octobre 2021. Nathan est de cette génération née à la fin du siècle dernier à laquelle il revient d’accoucher (au sens philosophique) du nouveau monde tout en interrogeant l’ancien. Il retrace avec nous son parcours de recherche, notamment au sein de l’EPHE - PSL.

Naissance d’un projet de recherche
Nathan a suivi une Licence de Philosophie à l'Université Paris Sorbonne (jusqu’en 2019) avant d’entreprendre un Master Histoire de la philosophie, métaphysique et phénoménologie à Sorbonne Université (2019-2021). Il soutient alors son mémoire de recherche « Entre étiologie et sémiologie : l'astrologie antique en débat ».
« À l’époque hellénistique, différentes justifications philosophiques de l’astrologie prirent forme. Certains défendaient une causalité astrale tandis que d’autres soutenaient davantage l’existence d’une relation indirecte ou analogique entre les planètes et les hommes. C’est cette deuxième conception philosophique de l’astrologie antique qui m’a particulièrement intéressé. »
Son projet de thèse, qui s’achèvera dans quelques mois, s’intitule « Histoire et devenir du concept de synchronicité ». Il est réalisé sous la direction de Jean-Pierre Brach, directeur d’études émérite de la section des Sciences religieuses de l’EPHE - PSL.
La synchronicitéLa synchronicité renvoie à l’expérience d’une coïncidence signifiante (mais acausale) entre un état psychique et un évènement extérieur. Jung illustre ce concept dans La synchronicité, principe de relations acausales (1952). Il y décrit une scène de consultation avec une patiente qui lui partage un rêve où elle reçoit un scarabée. Au même moment, l’un de ces coléoptères frappe la fenêtre et, ce faisant, fait tomber la barrière rationnelle de sa patiente, dernier obstacle à la conduite de sa thérapie. |
Outre une résidence d’un trimestre dans une bibliothèque spécialisée new-yorkaise (Kristine Mann Library) en 2022, Nathan s’est distingué à l’Université d’Essex en Angleterre comme chercheur invité (2023-24). Il y constitua un groupe de recherche anglophone en ligne sur la synchronicité, qui continue, encore aujourd’hui, de fonctionner (9 à 10 sessions par an). Nathan est aussi membre du bureau de l’Association Francophone pour l'Étude Universitaire des Courants Ésotériques (FRÉSO), rattaché à l’ESSWE (European Society for the Study of Western Esotericism).
Évolution des recherches au fil du débatLe travail de recherche que conduit Nathan est essentiellement une recherche livresque, historique et philosophique. Pour autant, la mise en place d’un groupe de recherche sur la synchronicité lui a permis de saisir la diversité des approches actuelles autour de cette question. Ce laboratoire universitaire international est ouvert aux universitaires et aux psychologues. Chaque session commence avec un séminaire donné par un intervenant suivi des questions. Les participants du groupe de recherche sont répartis dans de nombreux pays, principalement à travers l’Europe, les États-Unis mais aussi en Amérique du Sud (Pérou, Brésil, Argentine) et en Asie (Chine, Japon, Taïwan). À ce jour, le groupe compte 78 membres qui assistent en direct aux sessions ou en différé (replay). |
La synchronicité remise en perspective
Nathan s’intéresse tout particulièrement à la généalogie du concept de « synchronicité » forgé par Carl Gustav Jung (1875-1961). Ainsi, il s’attache à prendre en considération les nombreuses influences du concept provenant de l’histoire de la philosophie et des courants ésotériques. Il remarque que cet aspect important de la question tend à être négligé au profit de l’appropriation de la synchronicité dans différents domaines.
Parmi les différentes anticipations de son propre concept, Jung rattache notamment l’idée de synchronicité au Tao de la philosophie chinoise, à la notion grecque de sympathie universelle, à la doctrine des correspondances de la Renaissance, ainsi qu’aux concepts d’harmonie préétablie et de « monade » (substance simple et indivisible reflétant en elle-même la totalité de l’univers) chez Leibniz. Par ailleurs, les philosophies de Kant et Schopenhauer jouent aussi un rôle décisif dans le réseau d’influences, orientant Jung dans l’élaboration du concept de synchronicité. Enfin, les recherches expérimentales en parapsychologie (Society for Psychical Research) et les nouveaux développements de la physique au début du XXe siècle vont lui permettre de trouver un appui scientifique à ses réflexions, comme le soutient Nathan dans sa thèse. Jung entretient, notamment, une longue correspondance avec Pauli, l’un des fondateurs de la physique quantique, à partir des années 1930.
« Jung s’est distingué de ces différentes approches en abordant la question selon une lecture psychologique et phénoménologique. Jusqu’à la fin de son œuvre, la synchronicité demeure néanmoins un sujet complexe - parfois l’objet de contradictions internes - occasionnant ainsi une variété d’interprétations. »
Se poser les bonnes questions
Nathan apprécie tout particulièrement la pluralité des approches, l’art du débat et par-dessus tout déconstruire des avis préconçus. Et en la matière, il nous invite à faire « attention à ne pas appliquer le concept de synchronicité aux philosophies du passé. Ce n’est pas seulement une question d’anachronisme, c’est aussi une affaire d’incompréhension. La théorie de la synchronicité n’a de sens que dans le contexte occidental moderne et désenchanté où le principe de causalité façonne et dirige notre paradigme scientifique. » Pour Nathan, la question n’est pas de circonscrire une définition précise de la synchronicité mais plutôt de s’interroger sur les différentes voies possibles d’interprétations et d’appropriations du concept. Il nous invite à considérer la synchronicité comme une hypothèse et non comme un principe absolu.
« J’ai été grandement inspiré par la variété des approches de la synchronicité auxquelles j’ai pu faire face. La synchronicité, touchant au mystère de l’interaction entre l’esprit et la matière, m’a mené vers des champs de recherches peu conventionnels comme la divination (Yi King, astrologie, chiromancie…) ou la question des phénomènes qualifiés de paranormaux (notamment la médiumnité et l’apparition d’OVNIs à cette époque). »
L’EPHE - PSL lui a permis d’adopter une démarche d’historien, garante de la distance académique nécessaire pour aborder ces sujets avec l’approche critique nécessaire. Nathan a eu l’occasion de présenter ses recherches dans plusieurs pays à l’occasion de conférences universitaires (France, Lituanie, Égypte, Suède, Danemark, Suisse). Il a publié en 2023 l’article Catherine Élise-Müller : médiumnité et psychologie à la fin du XIXe siècle (Arcana Naturae n°4 : Sciences et magies au féminin, pp. 167-184) chez Agora & Co. (Lugano) et a co-dirigé l’ouvrage Recherches francophones sur l’ésotérisme, vol. II : Sciences et ésotérisme chez le même éditeur en 2024.
Où voir son travail ?Jung et le Yi King | BAGLIS TV (avec Nathan Fraikin) Page personnelle : https://ephe.academia.edu/NathanFraikin |
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