Avis de soutenance - doctorat - Dariouche KECHAVARZI
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Ecole doctorale 472
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Dariouche KECHAVARZI
Hérésie et orthodoxie aux débuts de l'islam : doctrines, représentations polémiques et mémoire des shi'ites Ghulāt
Durant les deux premiers siècles de l'islam (Ier/VIIe-IIe/VIIIe siècles), plusieurs groupes shīʿites mènent des révoltes successives contre les califats omeyyade, puis abbasside, depuis la ville irakienne de Kūfa et la région du Khurāsān. Ces mouvements sont regroupés sous l'étiquette de ghulāt par les hérésiographes musulmans, ce qui signifie littéralement « exagérateurs ». Parallèlement à leurs révoltes, ces groupes shīʿites développent un ensemble complexe de doctrines messianiques et ésotériques (métempsychose, antinomisme, cosmogonie, etc.) ainsi qu'une conception singulière de l'autorité politico-religieuse (imamat).
La thèse aborde l'histoire de ces groupes shīʿites comme un lieu depuis lequel analyser la production de l'hérésie et de l'orthodoxie au cours de la période de formation de l'islam. En effet, ces groupes sont unanimement considérés comme hérétiques par l'ensemble des branches de l'islam, y compris au sein du shīʿisme. Les sources polémiques, au premier rang desquelles l'hérésiographie, les décrivent comme des courants déviants professant des doctrines aberrantes, voire comme des éléments étrangers infiltrant l'islam pour en saper les fondations. Pourtant, ils comptent parmi les plus anciens mouvements de l'histoire de l'islam et leur activité précède la constitution des grands courants tels que le shīʿisme duodécimain et le sunnisme.
La première partie de la thèse porte sur l'histoire doctrinale des groupes shīʿites classés comme ghulāt. À partir d'une analyse critique des sources polémiques (épitres, hérésiographies, chroniques, prosopographies) et des sources directes, nous proposons une reconstitution de leur système doctrinal organisée autour de trois axes : eschatologie, imamat et ésotérisme. Il s'agit de sortir les groupes shīʿites de la marginalité à laquelle les cantonne le récit canonique de la tradition islamique en replaçant leurs doctrines au cœur des controverses théologiques qui structurent les débuts de l'islam. En parallèle, nous analysons la manière dont ces trois axes doctrinaux constituent des points de friction à partir desquels l'orthodoxie – notamment shīʿite – se construit en réaction à ces courants anciens.
La seconde partie de la thèse porte sur la construction discursive de l'hérésie dans la tradition islamique. À travers une généalogie de l'accusation d'« exagération » (ghuluww), nous étudions la manière dont la représentation postérieure des groupes shīʿites anciens donne lieu, à partir de la fin du IIe/VIIIe siècle, à une « invention de l'hérésie ». Nous approchons ainsi le corpus polémique shīʿite et la tradition hérésiographique musulmane comme des lieux de production et de canonisation de classifications sectaires et de discours normatifs sur l'hérésie. Ce processus contribue à la formation d'une nouvelle mémoire collective des débuts de l'islam autour du IVe/Xe siècle et joue un rôle déterminant dans la construction de l'orthodoxie.
L'histoire des groupes shīʿites anciens catégorisés comme ghulāt constitue ainsi un point d'entrée heuristique pour esquisser les contours d'une histoire critique de l'hérésie en islam, notamment à travers un dialogue constructif avec les méthodes développées dans l'historiographie du christianisme.
Heresy and Orthodoxy in Early Islam: Doctrines, Polemical Representations, and the Memory of the Shi'i Ghulāt
During the first two centuries of Islam (1st/7th-2nd/8th centuries), several Shīʿī groups launched consecutive revolts against both the Umayyad and Abbasid caliphates from the city of Kūfa in Iraq and the province of Khurāsān. Muslim heresiographers group these factions under the common derogatory label ghulāt, meaning “exaggerators”. In addition to their revolts, the Shīʿī ghulāt adhered to a complex set of messianic and esoteric doctrines (metempsychosis, antinomianism, cosmogony, etc.) and defended a specific conception of politico-religious authority (imamate).
This dissertation approaches the history of these groups as a vantage point from which to analyze the construction of orthodoxy and heresy during the formative period of Islam. The Shīʿī ghulāt are universally regarded as heretical by all branches of Islam, including within Shīʿism itself. Polemical sources, particularly heresiographies, depict them as deviant movements holding outrageous beliefs or even as foreign elements infiltrating Islam to undermine its foundations. Yet, they represent some of the earliest movements in Islamic history and predate the establishment of major traditions such as Sunnism and Twelver Shīʿism.
The first part of the study focuses on the doctrinal history of the Shīʿī groups classified as ghulāt. Through a critical analysis of polemical sources (epistles, heresiography, historiography, and prosopography) and direct sources, we propose to reconstruct their doctrinal system around three main axes: eschatology, imamate, and esotericism. This approach seeks to move these Shīʿī groups out of the margins to which they have been confined by the canonical narrative of the Islamic tradition and to reposition their doctrines within the theological controversies that shaped early Islam. At the same time, we examine how these three doctrinal axes serve as points of contention through which orthodoxy, particularly within Shīʿism, emerged in response to these early movements.
The second part of the dissertation examines the discursive construction of heresy within the Islamic tradition. Through a genealogy of the accusation of “exaggeration” (ghuluww), we explore how the later representation of early Shīʿī groups gives rise to an “invention of heresy” from the late 2nd/8th century onward. In this context, we approach the Shīʿī polemical corpus and Islamic heresiography as major sites for the production and canonization of sectarian classifications and normative discourses on heresy. This process contributes to the formation of a new collective memory of early Islam around the 4th/10th century and plays a decisive role in the construction of orthodoxy.
The history of early Shīʿī groups categorized as ghulāt thus provides a case study from which to outline a critical history of heresy in Islam, particularly through a constructive dialogue with the methodological advances made in the study of Christianity.
Directeur de thèse :
Mohammad Ali AMIR-MOEZZI
Unité de recherche :
Laboratoire d'études sur les monothéismes
Membres du jury :
- Directeur de thèse : Mohammad Ali AMIR-MOEZZI
- Rapporteur : Wissam HALAWI , Professeur (Université de Lausanne)
- Rapporteur : Mathieu TILLIER , Professeur des universités (Sorbonne Université)
- Examinateur : Ziad BOU AKL
- Examinateur : Alain LE BOULLUEC , Directeur d'études émérite (Ecole Pratique des Hautes Etudes)
Diplôme :
Doctorat Religions et systèmes de pensée
Spécialité de soutenance :
Etudes arabes et civilisation du monde musulman