Tombes d'esclaves à Pompéi

Archéologie et histoire des inégalités : tombes d’esclaves pompéiens

Alors que l’on continue de faire de l’archéologie une science fondée sur la découverte inopinée d’un objet ou d’un site toujours présenté comme exceptionnel, vingt années de recherches menées dans l’un des cimetières romains de Pompéi ont montré que l’archéologie est avant tout une science de l’enregistrement et de l’analyse des vestiges et traces les plus divers et les plus triviaux laissés par les populations humaines dans leur agir quotidien.


William Van Andringa, directeur d'études à l'EPHE - PSL nous parle de la Mission archéologique de Porta Nocera à Pompéi qu'il dirige avec Henri Duday (CNRS).

Ainsi est progressivement sortie de l’oubli l’histoire singulière (mais l’est-elle vraiment ?) d’une femme esclave de Pompéi enterrée avec ses proches. Nous sommes à 200 m de l’une des portes de la ville, la Porta Nocera (le nom est moderne), dans un enclos funéraire de la famille des Veranii aménagé, comme il se doit à l’époque romaine, le long de l’espace public de la route. Les pierres ponces de l’éruption du Vésuve ont recouvert le monument funéraire conservé dans son intégralité. La dédicace du fronton de façade indique que Verania Clara, affranchie de Quintus, fait ériger le monument pour elle, les siens et pour Caius Veranius Rufus, le fils de Quintus, devenu son patron. À l’intérieur de l’enclos, douze sépultures sont installées, dont deux, côte à côte et marquées par une stèle en marbre portant l’une l’épitaphe de Clara, l’autre l’épitaphe de Rufus.

Cinq campagnes de fouille ont permis de restituer l’histoire particulière d'une famille

Cinq campagnes de fouille ont permis de restituer l’histoire particulière de la famille. Le lot funéraire a été donné par décret municipal à Quintus, un colon installé à Pompéi après la fondation de la colonie. Une génération ou deux après la mort de Quintus, l’émergence de Clara, désormais libérée, comme dépositaire de la mémoire familiale au côté de Rufus, élu par ailleurs magistrat suprême de sa cité, indique que les rigidités sociales pouvaient être transcendées à l’intérieur du cercle familial.

Comme le policier scientifique qui enregistre les traces laissées sur la scène de crime, le relevé précis des faits archéologiques et l’étude des os humains ont permis de montrer l’existence de liens particuliers entre Clara et Rufus : les restes osseux des deux individus (brûlés puisqu’il s’agit de crémations) ont été enterrés dans la même sépulture, un acte symbolique qui permettait d’unir l’ancienne esclave à son patron et sans doute compagnon, Rufus. Les objets de tissage déposés sur le bûcher de Clara confirmaient en outre le statut de matrone auquel elle était finalement parvenue.

L’archéologie nous plonge au cœur du concret des relations humaines

On découvre alors, dans le cas pompéien, comment, dans une société inégalitaire comme la société romaine, les rapports d’inégalités loin de se résumer à un rapport dominant/dominé étaient construits et modifiés au gré des relations familiales et des groupes sociaux qui composaient la cité. Quant à l’archéologie, elle nous plonge au cœur du concret des relations humaines et nous donne une image plus riche et forcément complexe et variée de l’inégalité sociale.

 

Le Grand Prix d’archéologie 2021 de la Fondation Simone et Cino Del Duca a été remis à la Mission archéologique française de Porta Nocera à Pompéi (École Pratique des Hautes Études, UMR 8546 AOrOc du CNRS, École française de Rome et UMR 5199 PACEA du CNRS).