ERC Vietnamica - Stèles

Vietnamica – bilan du projet ERC

Lancé en novembre 2019, le projet ERC Advanced Grant, Historical Research and Data Processing on Ancient Vietnamese Inscriptions (Vietnamica) s’est achevé en octobre 2025. Porté par Philippe Papin, il s’est consacré à l’étude historique et philologique des stèles de donation érigées dans les villages au Vietnam entre le XVIe et le XXe siècles. 

Ces stèles, rédigées en caractères chinois et vernaculaires vietnamiens fourmillent d’informations qui permettent d'écrire une histoire locale et populaire du Vietnam rural, ce que le manque de documentation rendait impossible jusqu'à présent.

 

Le projet, coordonné par l’EPHE à Paris, avait pour opérateur au Vietnam l’Agence Universitaire de la Francophonie et, pour partenaires scientifiques, l’Université vietnamienne des Sciences Sociales et Humaines et l’Institut Han-Nôm (sino-vietnamien) relevant de l’Académie des Sciences Sociales du Vietnam. La fructueuse collaboration entre ces institutions a permis d’assurer la gestion administrative, financière et scientifique d’un projet rendu complexe par sa double implantation, à la fois en France et au Vietnam.

 

Une partie des résultats scientifiques du projet sont accessibles par un portail internet qui offre des ressources électroniques, notamment 20 980 estampages de stèles et 3 000 livres et articles, et une série de 40 ouvrages spécialisés (monographies, anthologies, traductions). Par ailleurs, le projet a financé et formé 15 masters, 5 thèses et 3 postdocs.

 

ERC Vietnamica - Stèles
Stèles du sanctuaire de Quang Hoa (Hanoi)

 

La source miraculeuse : le corpus des estampages

L'estampage des stèles villageoises au Vietnam est le résultat d'une longue histoire. Entre 1910 et 1944, l'École française d'Extrême-Orient (EFEO) a régulièrement envoyé des spécialistes dans les campagnes pour repérer et estamper les stèles. Cela a permis de constituer une collection de 20 980 estampages, qui correspondent à 11 651 stèles (celles-ci pouvant avoir plusieurs faces gravées). Le travail a été poursuivi par l’Institut Han-Nôm, du début des années 1990 jusqu’à maintenant, ce qui porte le volume du corpus à plus de 40 000 estampages, soit environ 25 000 stèles.

 

Vietnamica 2 - Stèle - Estampage
Estampage d'une stèle dans le sanctuaire Nôm (province de Hung Yên)

 

La répartition chronologique est désormais connue : 2 % des stèles datent du XVIe siècle, 23 % du XVIIe, 39 % du XVIIIe, 25 % du XIXe et 10 % du XXe. Majoritairement concentrées dans le bassin du fleuve Rouge, elles proviennent pour près des deux tiers (63 %) de localités situées à moins de 80 km de Hanoï.

 

Au sein de ce corpus, plus de 80% des inscriptions enregistrent des donations faites aux sanctuaires et aux maisons communales des villages du bassin du fleuve Rouge. C’est sur cette question de la donation qu’ont travaillé quelque 35 chercheurs et étudiants impliqués dans le projet Vietnamica.

 

Un système original de donation

Les stèles de donation sont des versions, fidèles ou enjolivées, de contrats qui ont d’abord été rédigés sur papier – mais ces contrats ont tous disparu. Chaque donation était divisée en deux parts : l’une, en numéraire, remise à titre gracieux ; l’autre, en parcelles de terre, offerte en échange de la promesse que le village organiserait des cérémonies religieuses à l’intention des membres défunts de la famille des donateurs ou, par anticipation, à l’intention des donateurs eux-mêmes. Le geste classique de pure générosité envers la communauté se combinait ainsi avec la recherche d’un bénéfice religieux familial ou personnel. S’y ajoutait du prestige car les donateurs étaient institués au rang d’Épigones du Bouddha et Épigones de la Divinité.

 

Le projet a notamment montré que la « procédure épigonale » était accessible à la grande majorité des villageois. Pour calculer la valeur des donations, le prix de la terre a été converti en argent, puis ajouté au don fiduciaire, et le tout changé en équivalents concrets. Or, si la donation moyenne équivalait quinze buffles ou cinq ans de travail d’un artisan, de nombreuses donations se limitaient à quelques poulets ou semaines de travail. En ce cas, les contreparties rituelles se bornaient à de simples mentions du nom des donateurs lors de l’oraison. Quoi qu’il en soit, le montant des donations fournit un outil d’appréciation du niveau économique d’une période ou d’une région.

 

Contrairement à ses prévisions initiales, l’équipe s’est aperçue que les hommes donnaient à peu près autant que les femmes (46 %, contre 54 %).

 

Des résultats majeurs et des retombées prometteuses

Vietnamica fournit un outil cartographique, créé à l’aide d’une série de cartes anciennes, qui permet de localiser les villages (ou les cantons) où se situent les stèles. Cette cartographie représente une prouesse scientifique car, en dépit des changements et disparitions de toponyme pendant cinq siècles, elle permet de poser chaque stèle au bon endroit sur une carte. La base de données des toponymes, accessible à tous les chercheurs, est appelée à devenir le système de référence unique pour les études sur le Vietnam ancien. Cette cartographie s’accompagne d’une galerie des estampages qui permet aux utilisateurs de consulter directement les textes et d’effectuer des recherches par cote, date, localisation ou mots contenu dans la fiche descriptive de chaque stèle.

 

De nombreux ouvrages et articles produits avant et pendant le projet ont été traduits en vietnamien. Ce travail offre la possibilité aux collègues universitaires d’accéder à ces ressources mais a aussi permis de jeter les bases d'un lexique de traduction vietnamien-français dans le domaine des sciences sociales et humaines.

 

Le projet Vietnamica a non seulement conforté la recherche historique sur le Vietnam, mais il a aussi contribué à faire renaître la discipline épigraphique, qui avait quasiment disparu. Le Vietnam, riche en stèles, avait grand besoin de ce renouveau. Il est maintenant question de créer une chaire d’épigraphie classique à l’université, ce qui ne serait pas le moindre des succès de l’ERC. Un autre « rebond » du projet, qui en perpétuera l’esprit, réside en la perspective de fonder un consortium unissant l’EPHE, l’EFEO, l’Université des Sciences Sociales du Vietnam et l’Institut Han-Nôm. Ce consortium se donnerait pour objectif de poursuivre la coopération sur l’histoire du Vietnam rural à l’époque classique.

 

Ressources numériques

Un site internet, incluant :
- Une galerie des 20 980 estampages de stèles (https://gallery.vietnamica.online/)
- Des outil et bases de données cartographiques (https://carto.vietnamica.online/)
- Une bibliothèque numérique : 3 000 livres, revues et articles (https://revues.vietnamica.online/livres/)
- Un panorama des 40 ouvrages publiés par le projet (dont 10 monographies téléchargeables)

 

 

04 novembre 2025.