Avis de soutenance - doctorat - Arthur DEFRANCE

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Soutenue par Arthur DEFRANCE

La poésie au Japon à l'époque Nara : entre recréation de la Chine et création de la tradition nationale.

Notre thèse s'intéresse à l'époque de Nara (710-794) et examine les deux recueils poétiques les plus anciens de l'histoire littéraire japonaise, le Kaifû-sô («Recueil du souvenir de l'ancienne manière», 751) et le Man'yô-shû («Recueil des myriades de feuilles», après 759). Le premier est un court recueil de poèmes en chinois classique et le deuxième est un long recueil composé de près de 4500 pièces, dont la plupart est écrite en japonais. Ces deux recueils contemporains nous permettent de revenir sur l'une des questions cruciales de l'histoire littéraire japonaise: le lien entre la littérature écrite en japonais et celle écrite en chinois classique, cette deuxième constituant plus de la moitié de la production littéraire du Japon prémoderne. La question est ordinairement saisie au prisme de la dialectique culturelle wakan («Japon et Chine»), un concept de l'époque de Heian (794-1192) peu applicable tel quel à notre époque de Nara. Notre travail aborde la question de ce lien au travers d'un angle peu étudié: celui des langues. Empruntant aux réflexions sur le bilinguisme et la perception des langues dans les sociétés anciennes (Rome, l'Europe médiévale et renaissante, l'Inde prémoderne), nous montrons que l'époque de Nara est très diverse linguistiquement et qu'elle est en outre un moment nouveau d'ouverture linguistique. Cette ouverture amène à une transformation des attitudes vis-à-vis des différentes langues (les «consciences linguistiques» de Harald Weinrich) et à un bouleversement du paysage des langues (l'«ordre langagier» d'Andrew Ollett). Le Japon de Nara est un pays très multilingue et dont la langue littéraire et la langue de cour se définissent en relation à cette multiplicité. De plus, alors que le Japon avait appris à lire le chinois classique dans sa propre langue vernaculaire grâce au procédé du kundoku («la lecture vernaculaire»), il reprend contact avec le chinois de Chine. Le chinois resinifié forme donc une nouvelle entité linguistique, plus que jamais distincte du japonais. Nous soutenons que les bouleversements linguistiques ont des conséquences capitales pour la formation du corpus poétique du Japon de Nara. Les deux langues sont plus distinctes que jamais et nos deux recueils reflètent ce haut degré de distinction. Chacun propose ainsi un récit distinct de l'histoire de la littérature japonaise, qui permet d'ignorer ou de marginaliser l'autre corpus linguistique. Chaque récit est aussi au service d'une faction politique, qui tire son prestige et sa position sociale d'une identification à l'une des deux langues. Nous montrons également que les formes de poésie hybrides mêlant japonais et chinois classique (dans le Man'yô-shû, notamment) sont non seulement marginalisées, mais également de plus en plus rares à mesure que l'écart linguistique se creuse entre les langues. Nous suggérons enfin que l'ordre langagier de l'époque de Nara n'a pas su perdurer et que la dialectique wakan réunissant le chinois et le japonais dans un ordre commun ne peut s'établir que sur les ruines de celui de Nara.

Poetry in Japan in the Nara Period : Between Recreation of China and Creation of the National Poetic Tradition

This dissertation takes as its object the Nara period (710-794) and examines the two most ancient poetry collections in Japanese literary history : the Kaifû-sô ("Collection of fond remembrance of the past", 751) and the Man'yô-shû ("Collection of the myriads of leaves", after 759). The former is a short collection of poems in Classical Chinese and the latter, a long anthology made up of approximately 4500 pieces, mostly written in Japanese. These two contemporary anthologies allow us an insight into one of the most crucial issues in Japanese literary history : the ties between the literary corpus written in Japanese and that written in Classical Chinese, which accounts for more than half of the literary production of premodern Japan. This question is usually grasped through the lens of a cultural dialectic, the wakan ("Japan and China") dialectic, a concept originating in the Heian era (794-1192), which as such possesses little applicability in the Nara period. Our inquiry seeks to tackle the issue using an understudied approach : that of languages. Drawing from the studies on bilingualism and on the perception of languages in ancient societies (Rome, Middle Ages and Renaissance Europe, premodern India), we demonstrate that the Nara period was linguistically very diverse and that it represents a moment of further linguistic opening up. This process leads to a transformation of language attitudes (what Harald Weinrich has called the "language consciousness") and to an upheaval in the language landscape (Andrew Ollett's "language order"). Nara Japan is a very multilingual country, whose literary and court language define themselves in relation to this multiplicity. Furthermore, although Japan had learnt to read Classical Chinese in its own vernacular through the reading technique of kundoku ("vernacular reading"), the country resumes its contacts with the Chinese language as used in China. The resinified form of Chinese therefore constitutes a new linguistic entity, that distinguishes itself from Japanese more than ever before. We put forward the view that the transformations pertaining to languages have capital consequences for the construction of the Japanese poetic corpus in Nara Japan. The two languages become more distinct than they have ever been and the two poetic collections reflect this growing distinctiveness of each language. Both collections, therefore, weave a distinct narrative of Japanese literary history, which allows them to ignore or to marginalise the corpus in the other language. Each narrative also serves the interests of different political factions, which draw their prestige and their social position from their identification with one language or the other. We also show that hybrid poetic forms, which weaves together Japanese and Classical Chinese poetry (most notably in the Man'yô-shû) are not only marginalised, but that they also become rarer as the language gap deepens between the two languages. Finally, we suggest that the Nara period language order did not perpetuate itself as such and that the wakan dialectic that unifies the japanese and the chinese streak in a common order could only establish itself upon the ruins of that of Nara.
Directeur de thèse :
Jean-Noël ROBERT
Unité de recherche :
Centre de recherche sur les civilisations de l'Asie Orientale
Membres du jury :
  • Directeur de thèse : Jean-Noël ROBERT
  • Président : Claire-Akiko BRISSET , Professeure ordinaire (Université de Genève)
  • Examinateur : Maria Chiara MIGLIORE , Associate professor (Università del Salento (Lecce))
  • Examinateur : Ivo SMITS , Professor (Université de Leiden)
  • Examinateur : Michel VIEILLARD-BARON , Professeur des universités (INALCO)
  • Examinateur : Alain ROCHER , Directeur d'études émérite (EPHE PARIS)
  • Rapporteur : Sumie TERADA , Professeur émérite (INALCO-IFRAE)
  • Rapporteur : Daniel STRUVE , Professeur des universités (Université Paris Cité)
Diplôme :
Doctorat Histoire, textes, documents
Spécialité de soutenance :
Etudes de l'Extrême-Orient